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Vingt ans de carrière pour Dominic Dufour

Publié le 08 / 07 / 2022

Aujourd’hui bien reconnu pour sa bijouterie de Rosemère et pour sa grande implication dans le milieu de la joaillerie au Québec, Dominic Dufour compte maintenant vingt années de pratique derrière lui, et ces dernières furent certainement bien remplies! Ayant entamé son parcours à l’École de joaillerie de Montréal à la fin des années 90 et obtenant son diplôme en 2000, Dominic s’est tout de suite imposé dans le milieu en tant qu’artisan, mais aussi en tant que diffuseur et promoteur du travail de plusieurs créateurs et créatrices d’ici. Afin de célébrer ses vingt années de pratique, il présentait au printemps dernier l’exposition Il y a vingt ans…, à sa bijouterie éponyme. L’exposition réunissait, aux côtés de son propre travail, celui de sept artisan.e.s ayant marqué l’histoire de l’ÉJM par leur enseignement, et ayant donc marqué Dominic au cours de ses études: Antoine Bassani, Monique Giroux, Antoine Lamarche, Christine Larochelle, Lynn Légaré, Denys Michaud et Gilbert Rhême.

Son sens des affaires l’ayant mené d’aventure en aventure, il nous fait part des méandres de son parcours en tant qu’artisan et entrepreneur, de sa pratique comme créateur et de sa passion pour les artisans qui composent notre beau milieu.

Qu’est-ce qui t’a d’abord amené à te diriger vers la joaillerie, il y a maintenant plus de vingt ans?

En 1993, j’ai étudié en arts plastique au Cégep de Joliette. Dans le cadre de ma formation académique, mon professeur de sculpture Paul Turgeon nous a fait fabriquer une bague afin de nous apprendre la technique à la cire perdue. Par la suite, pour le plaisir, j’ai réalisé plusieurs bagues en cire. Voyant mon intérêt pour le petit format, mon enseignant m’a lancé l’idée d’aller étudier en joaillerie : une option que je n’avais jamais envisagée jusque-là. Comme j’aimais travailler en petit format que ce soit en sculpture ou dessin, la joaillerie m’est tout de suite apparue comme étant une belle façon de gagner ma vie en tant que créateur. Je me suis donc inscrit à l’École de joaillerie de Montréal (EJM) d’où j’ai gradué en 2000.

Classe d’Antoine Lamarche, École de joaillerie de Montréal, 2000.
De gauche à droite : Antoine Lamarche, Claire Bourgault, Pierre-Yves Paquette, Carole Rodrigue, André-Anne Tibi, Dominic Dufour, Francine, Lydia Janssen
Nous te connaissons maintenant non seulement comme joaillier, mais aussi comme propriétaire de la bijouterie portant ton nom. Peux-tu nous parler de ce qui t’a poussé à vouloir te lancer dans un projet d’atelier boutique?

J’ai toujours aimé faire partie d’un groupe et rassembler les gens. Déjà à l’école dans mon cour de démarrage d’entreprise, j’avais imaginé ouvrir une boutique métiers d’art. Dès ma sortie de l’EJM, je me suis joint à la coopérative L’Atelier Libre, un atelier de joaillerie que je partageais avec Anaïs Beauchemin-Hétû, Annie Barette, Michelle Côté et Julie Mineau. Un an plus tard, avec 12 autres artisans, nous avons créé T.R.É.M.A (Travailleurs renommés en métiers d’art); par le biais de cet organisme sans but lucratif, nous obtenions le financement nécessaire pour faire circuler nos propres expositions collectives.

Dominic dans son premier atelier de Rosemère en 2011

A mon arrivée dans les Laurentides, je me suis joint à Signature Laurentides, un regroupement d’artisans professionnels en métiers d’art dont faisaient également partie les joailliers Georges Delrue et Lucie Veilleux. Par la suite, je suis devenu membre du conseil d’administration et par après, j’ai aussi siégé sur celui de Culture Laurentides, comme représentant des métiers d’art.

Ce n’est qu’en 2011, quand j’ai pris possession du local du 150 Grande Côte à Rosemère avec ma conjointe Mylène Blanchet, que j’ai vu la possibilité de donner une vitrine à d’autres joailliers québécois.  Le local était trop grand pour un simple atelier et plus que suffisant pour accueillir mes créations. J’ai alors commencé à représenter huit autres joailliers et, c’est aussi en cette première année que débutèrent les expositions trimestrielles dans ma bijouterie. Cette grande aventure s’est concrétisée grâce au travail et au soutien de ma conjointe, copropriétaire de l’entreprise.

Dominic et Mylène

Au tout début de notre aventure à Rosemère, Mylène, alors consultante pour artistes, rédactrice et commissaire d’exposition, avait déménagé son local de consultante dans le local adjacent au mien. Dans cet espace, elle y avait ouvert sa galerie d’art, transformée par après en boutique métiers d’art qui s’est jointe depuis à mon local : sous le même toit, on retrouve maintenant une boutique métiers d’art, une bijouterie de création québécoise et un atelier de joaillerie.

Tu proposes dans ta bijouterie le travail de vingt autres joailliers, sans compter les nombreuses expositions temporaires que tu y présentes. L’aspect d’héritage et de transmission est-il important pour toi, en tant qu’artisan et entrepreneur?

Dans la vie, je pense qu’il faut partager ce que l’on a. Tel que je le mentionnais, je suis une personne rassembleuse et je trouve que, comme le métier d’artisan joaillier est difficile dans un marché où les clients ont une grande variété de choix, il est primordial de s’entraider entre nous et ce, par tous les moyens possibles.

Par exemple, lors de mes études, j’avais demandé à un ami, propriétaire du salon de thé Camélia Sinensis, de placer un présentoir dans son salon pour exposer mes bijoux et ceux de mes collègues. Ensuite, ce présentoir s’est retrouvé dans le salon KA coiffure sur Sherbrooke. A ce moment-là, j’avais déjà à cœur de faire rayonner le talent des autres.

L’exposition des finissants de 2018 de l’École de joaillerie de Montréal. De gauche à droite : Justine Bonnin, Dominic et Mylène, Sophia Gaspard, Sabrina Couillard et Claudine Derouin

Depuis l’ouverture de la bijouterie, j’ai diffusé le travail de plus de 40 joailliers dans mon espace d’exposition. Les deux dernières années, j’ai donné la chance aux finissants de l’EJM de venir présenter une première collection ou des pièces uniques dans cet espace. En outre, la vitrine que j’offre aux 20 autres joailliers que je représente de façon permanente est des plus importantes pour moi afin de montrer la qualité du travail et la grande créativité des joailliers québécois.

Dans ma partie boutique, je démontre la richesse et la diversité de la joaillerie québécoise; dans mon coin exposition, des pièces de joaillerie d’art sont quelques fois présentées, ainsi je participe à sa démocratisation.

L’espace d’exposition dans la bijouterie
Comment est née l’idée d’inviter tes anciens enseignants à présenter leurs œuvres dans l’exposition « Il y a vingt ans »?
20 février 2020, vernissage de l’exposition ‘’Il y a 20 ans…’’.
De gauche à droite : Antoine Lamarche, Lynn Légaré, Dominic Dufour, Christine Larochelle, Monique Giroux et Valérie Rhême (fille de Gilbert)

Comme je présentais depuis deux ans les œuvres des étudiants de l’EJM et que, cette année, je n’avais pas reçu suffisamment de dossiers pour monter une exposition, j’ai discuté avec le directeur Stéphane Blackburn afin de trouver un plan B. Ainsi, est venue l’idée de présenter les bijoux de mes anciens professeurs. J’avais cette idée qui me trottait en tête depuis longtemps, mais l’occasion de le faire ne s’y prêtait pas. En plus, cette année marquait mes 20 ans de carrière; je me suis dit que l’occasion était idéale et que cette exposition serait une superbe façon de célébrer ces 20 années tout en rendant hommage au travail de 7 grands joailliers/professeurs. Deux sont aujourd’hui décédés dont Gilbert Rhême de qui j’avais repris l’atelier-boutique au moment de son décès en 2008. Dans l’exposition, je présente aussi de mes anciens bijoux dont quelques-uns réalisés dans le cadre de ma formation académique.

C’est Mylène qui s’occupe maintenant de la portion bijouterie et espace d’exposition. Elle a donc mis à profit ses talents de commissaire pour monter et documenter cette superbe exposition qui fut présentée jusqu’au 1er juillet dernier.

Vue de l’exposition Il y a vingt ans…
Comment ton travail est-il réparti? Est-ce que tu effectues surtout des pièces sur commande pour des particuliers ou tu crées beaucoup de pièces pour ensuite les exposer et les vendre?
Bague créée par Dominic, or blanc 14 k, iolite, saphir rose

J’aime arriver tôt le matin (ou partir tard le soir) afin de pouvoir travailler calmement dans l’atelier loin du tourbillon de la journée au moment où la bijouterie est ouverte au public. La création sur mesure et le remodelage font partie de ce que les clients viennent chercher d’unique ici, donc il y a beaucoup de va et vient et ce, tout au long de la journée. Avec la gestion d’une clientèle grandissante, je dirais que mon temps est surtout occupé à gérer les commandes, les rencontres avec les clients pour leurs projets de création et de remodelage. A travers tout cela, j’offre aussi le service de réparation de bijou. J’ai donc moins le temps pour me consacrer à la création.

Dès ma deuxième année à Rosemère, j’ai dû faire appel à une joaillière du nom de Soëli Sieper pour m’assister dans l’atelier. Pendant quelques mois, Deborah Rimbault, une ancienne étudiante de l’EJM, a remplacé Soëli et m’assistait dans mes tâches d’atelier. Dans la gestion des fournisseurs et sous-traitants, Isabelle Palombini (diplômée de l’EMSOM en bijouterie-joaillerie) m’offre son soutien depuis presque 2 ans. Mylène travaille à la gestion de la boutique et de la bijouterie, aux expositions, aux communications, au marketing, à la comptabilité et toutes les autres tâches connexes. Pour sa part, Denis Lavertu, artisan ébéniste, s’occupe du service à la clientèle.

Ces dernières années ont servi à bâtir une équipe solide pour pouvoir répondre à la croissance exponentielle de notre entreprise. Depuis 9 ans, ce sont 7000 enveloppes clients qui sont passées entre mes mains; j’ai donc dû m’entourer des meilleures personnes possible. Grâce à eux, je garde espoir de retourner m’amuser dans l’atelier et développer plus de pièces de collection. En ce moment, j’ai des idées plein la tête et des bijoux en développement qui dorment dans mon coffre…

J’ai, par le passé, pris part à plusieurs expositions avec des pièces d’expression. Cependant, depuis mon arrivée à Rosemère, j’ai dû mettre de côté cet aspect de ma carrière, mais je compte y retourner très prochainement.

Bague créée par Dominic, or blanc 14k, saphir bleu
Qu’est ce qui t’influence dans la création de tes pièces ?

Comme je crée souvent directement avec le client, je m’adapte à ses goûts tout en y apportant ma signature personnelle. Pour la création partant de matériaux neufs comme pour le remodelage en utilisant les bijoux de mes clients, je deviens un guide pour arriver à créer un bijou selon leurs goûts et leurs budgets.

Pour mes collections personnelles, c’est plus spontané. Mon processus créatif débute par une forme (collection Spirale) ou une texture (collection Météore), et de là découlent toutes les déclinaisons possibles. Quand je rencontre un client pour de la création sur mesure, je fais plusieurs croquis afin de lui faire comprendre mon idée et qu’il puisse visualiser ce à quoi ressemblera son bijou. A l’inverse, quand je crée pour mes collections personnelles, aucun dessin n’est fait. Je travaille directement dans la matière. Après mon brassage d’idées, je conserve uniquement ce que je juge le plus intéressant afin de créer une unité entre les différents bijoux qui formeront ma collection. Ensuite, je les mets en production.

Quant aux pièces uniques, elles sont beaucoup plus réfléchies, analysées. Des fois, tout débute par une image que j’ai en tête depuis longtemps; à d’autres moments, je m’inspire d’une belle pierre: c’est ce que je préfère.

Tu es toujours resté connecté à la communauté de l’École de joaillerie de Montréal, agissant d’ailleurs maintenant comme président du conseil d’administration, et tu présentes aussi régulièrement le travail de ses récents diplômés dans ta boutique. Qu’est-ce qui te pousse à entretenir cette implication dans le milieu de la joaillerie à Montréal et dans ses environs?

J’ai un grand attachement pour cette école et, comme j’aime m’impliquer, j’ai tout de suite accepté quand on m’a approché pour faire partie du conseil d’administration. Je trouve important de redonner à l’école en y consacrant du temps. L’école de joaillerie a été très importante pour moi. Ce n’est pas une institution d’enseignement comme les autres; dès la première session, je m’y suis senti comme chez moi, dans une grande famille où on y est bien : la gentillesse des professeurs, la camaraderie entre étudiants. L’école est pour moi le lieu qui m’a vu éclore comme joaillier et qui a mis sur ma route une tonne de personnes que je côtoie encore aujourd’hui. D’autre part, je trouve ça important que d’autres profitent de la vitrine qu’est ma boutique. J’ai la chance de vivre de mon art; alors, si, par mon rôle de diffuseur, je peux aider à la consolidation des pratiques de d’autres joailliers, j’en serai plus que ravi. Le partage est dans mes gênes….

Dominic et Mylène à l’entrée de leur lieu de diffusion et de Rosemère.



création.https://ecoledejoaillerie.com/2020/07/16/vingt-ans-de-carriere-pour-dominic-dufour/